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A Arles, William Kentridge emprunte, avec « The Great Yes, The Great No », la route allégorique des migrations

Commandé à William Kentridge par la Fondation Luma d’Arles, en partenariat avec le Festival d’Aix-en-Provence, l’opéra de chambre The Great Yes, The Great No était présenté, dimanche 7 juillet, en création mondiale, dans la Grande Halle du Parc des ateliers du complexe culturel et artistique arlésien. A bord d’un cargo long-courrier, dont le roulis rythme le spectacle, une troupe d’artistes musiciens, chanteurs et comédiens évoque le voyage historique effectué sur le Capitaine-Paul-Lemerle, en mars 1941, de Marseille à l’île de la Martinique, par des centaines de réfugiés fuyant le régime de Vichy et le nazisme, mais aussi l’Espagne franquiste et l’Italie fasciste.
Parmi les passagers de cette traversée qu’évoque la projection tournoyante de cartes navales, de dessins kentridgiens et de documents d’archives (papiers d’identité), le surréaliste André Breton, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (qui en fit le récit dans Tristes Tropiques, en 1955), les sœurs Paulette et Jane Nardal, le peintre cubiste afro-cubain Wifredo Lam, l’autrice Anna Seghers. Kentridge a également invité sur le pont de cette arche de Noé anticolonialiste, antifasciste et antiraciste d’autres figures du déracinement, de l’exil et de la migration. Ainsi l’écrivain et homme politique Aimé Césaire et sa femme, Suzanne, Léopold Sédar Senghor, le psychiatre et essayiste Frantz Fanon, les deux Joséphine B. – Beauharnais (futur Mme Napoléon Bonaparte) et Baker (artiste de music-hall) –, plus furtivement Trotski, alors réfugié au Mexique, où il fut tué en 1940, sur ordre de Staline.
William Kentridge connaît bien la scène lyrique pour y avoir monté le baroque Retour d’Ulysse dans sa patrie, de Monteverdi, une Flûte enchantée, de Mozart, livrée aux mains bricoleuses de l’art plastique, et les deux réussites absolues que sont Le Nez, de Chostakovitch, et Wozzeck, de Berg, double dénonciation de la dictature et de la guerre. En ce soir du second tour des élections législatives, dont les résultats ont provoqué un palpable soulagement, les visées humanistes de l’artiste sud-africain, témoin privilégié de la fin de l’apartheid, tombent à point nommé pour nourrir la tentation d’utopie féministe. « Le monde se délite – Les morts répondent à l’appel – Les femmes recollent les morceaux », écrit en effet Kentridge.
Ballet de masques (visages de personnalités et colons répressifs affublés de têtes d’oiseau ou d’objets du quotidien), The Great Yes, The Great No dessine un virtuose et revigorant exercice d’humour, de gravité, d’émotion, inspiré par la technique du collage propre au dadaïsme. Une combinatoire de textes, de musiques, de danse et de théâtre, à la croisée des arts plastiques et du cabaret performatif, qui exalte, au-delà du déracinement et de la douleur, un exil porteur d’espoir, de rencontres, d’avenir. Ces sentiments s’inscrivent dans les chants en langues traditionnelles écrits par le compositeur Nhlanhla Mahlangu, les danses de l’époque (biguine, fox-trot, charleston), tandis que, au pied du public, à cour, un quatuor d’instrumentistes (pianiste, violoncelliste, percussionniste, accordéoniste jouant aussi du banjo) accompagne et narre le récit, navigue des bruitages de la musique contemporaine aux envolées de la musique classique (extraits de la Sonate « Arpeggione » D821, de Schubert).
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